
YORKSHIRE BLEEP

La musique électronique s’est particulièrement développée au Royaume-Uni durant les années 90. Nous avons notamment vu précédemment l’importance qu’a joué le Breakbeat à cette époque. Mais si le son britannique s’est beaucoup développé durant cette décennie, il prend ses racines à la fin des années 80, lorsque certains producteurs du nord de l’Angleterre ont décidé de s’approprier la Techno pour en faire quelque chose de complètement nouveau. C’est dans la région industrielle assez pauvre du Yorkshire, et dans les villes de Leeds et de Sheffield que va naître un mouvement musical dont l’influence sera aussi immense que sa durée de vie sera courte.
Avant cela, les British Rave sont portées principalement par des productions House et Techno importées des Etats-Unis ou bien par des productions locales n’étant que des pâles copies de ce qui se fait alors à New York ou à Chicago. Mais en 1989, plusieurs artistes se lancent dans des productions originales mêlant la Techno, l’Electro et la Dub jamaïcaine. Unique 3, Forgemasters et Nightmares On Wax sortent respectivement The Theme, Track With No Name et Dextrous, trois morceaux emblématiques qui marquent une rupture avec les sorties précédentes. La même année sort également Testone de Sweet Exorcist, morceau selon moi très représentatif de ce son British en gestation.



En réalité, ce style a mis plusieurs années à naître des expérimentations musicales d’une multitude de DJs et producteurs de la région, tous en compétition sur la scène Hip-Hop et Electro. Ce qu’on appelle dès 1989 le ‘Yorkshire bleeps and bass’ ou tout simplement le ‘bleep’, est issu d’un réseau d’artistes, collectifs, et clubs qui contrôlaient la vie nocturne entre Sheffield, Leeds et Bradford. Ce réseau, et l’influence qu’il avait sur le reste du pays, a permis de propulser rapidement le Yorkshire Bleep comme style incontournable des British Rave dès 1990. C’est cette même année que LFO, trio formé par Gez Varley, Mark Bell et Martin Williams, sort un EP éponyme sur Warp Records et crève l’écran. Le morceau phare, LFO (The Leeds Warehouse Mix), connaît rapidement un très grand succès et est considéré aujourd’hui comme un grand classique et le morceau le plus emblématique du Bleep.
Vous vous souvenez peut-être du label Warp Records, mentionné à la fin des articles sur le Breakbeat et l’Electro. Ce label, fondé à Sheffield en 1989, a accompagné et stimulé le développement de la musique électronique britannique de ses débuts jusqu’à nos jours. Il a notamment joué un rôle capital dans le développement du Bleep, au travers de son producteur de génie Rob Gordon qui a beaucoup contribué au design sonore de ce style.
Au niveau technique, le Bleep empreinte la ligne rythmique binaire de la Techno de Detroit, souvent réalisée à l’aide d'une TR-909. Le rythme est accompagné d’une ligne de basse extrêmement grave et caverneuse et surmonté d’une mélodie simple, brute et futuriste qu’on retrouve dans l’Electro. Enfin le tout est parfois agrémenté de vocaux issus du Funk ou du Reggae. Je vous propose d’écouter ces caractéristiques à travers les morceaux Q de Mental Cube sorti en 1991 sur le label Buzz et Ital’s Anthem (Trebledown-Bassup Mix) de Ital Rockers, produit en 1990.
Le mouvement du Yorkshire Bleep sera de courte durée. La production ralentit dès 1991 avant de s’éteindre en 1992, submergée par l’arrivée de styles beaucoup plus rapides et agressifs comme le Hardcore, la Jungle, la Drum & Bass ou le UK Garage. Néanmoins, le Bleep n’a pas pour autant été laissé aux oubliettes et continue d’être joué par de nombreux DJs et perpétué par des amoureux du genre comme Neil Landstrumm et Luca Lozano. De plus, il constitue un repère indéboulonnable pour bon nombre de styles musicaux nés au Royaume-Uni dont le Dubstep et le Grime. Je conclurai cet article avec le morceau Feel It!, produit par Coco Steel & Lovebomb en 1992 au crépuscule du Bleep. Le groove, beaucoup plus présent, fait état d’un son mature et toujours aussi futuriste, illustration d’un style enfin arrivé à gestation.
À propos du Yorkshire Bleep
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Le journaliste anglais Matt Anniss, spécialiste de la musique électronique​, a publié en décembre 2019 un livre intitulé Join The Future: bleep techno and the birth of British bass music. Ce livre retrace en détail l'histoire du genre, en se penchant sur ses origines sociales et culturelles et sur la portée qu'a pu avoir ce style sur la culture musicale britannique. Anniss tente de démontrer l'influence capitale que le bleep a eu sur le reste de la Dance music britannique, notamment dans l'importance de la ligne de basse. Il a été acclamé et reconnu par de nombreux artistes pour son témoignage complet et véritable d'un style trop souvent oublié.
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